Quand la majorité des acteurs du territoire se mettent d’accord pour protéger les zones humides primordiales pour la qualité de l’eau, d’autres1 font pression auprès de la préfecture pour pouvoir continuer leurs activités économiques ou projets routiers. Au point que l’entrée en vigueur de règles plus protectrices de l’environnement est actuellement remise en cause.
Explications
Le SAGE (schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) de l’Estuaire de la Loire est le document d’orientation des politiques de l’eau sur le territoire. Sa révision a été lancée en 2015 par la Commission Locale de l’eau (CLE), ce petit « Parlement de l’eau » réunissant élus et acteurs du territoire. Cette dernière a validé le projet de SAGE le 13 décembre 2022, après de longues discussions, notamment sur la préservation des zones humides. 37 voix se sont exprimées pour, notamment les élus des collectivités, les représentants des associations et les services de l’État, pour seulement 7 voix contre (majoritairement des représentants d’activités économiques). Conformément à la procédure, le document doit par la suite être validé par le préfet pour entrer en vigueur.
Mais ce dernier a reçu de nombreux courriers lui demandant de ne pas adopter le document en l’état. Le problème ? L’existence d’une règle particulièrement protectrice pour les zones humides indispensables que sont les zones humides de source et les zones humides inondables, dont les fonctionnalités ne peuvent être remplacées. En résumé, la destruction de zones humides, par des projets d’aménagement ou des activités, est encadrée : par principe interdite, elle peut être autorisée dans certains cas par la mise en place de mesures compensatoires qui visent à « recréer » la zone détruite ailleurs, avec un bénéfice pour l’environnement2. Or, de par leur emplacement et leur rôle, les zones humides de source ne peuvent être compensées et les zones humides inondables le sont très difficilement. Le projet de SAGE Estuaire leur accorde à ce titre une protection particulière, absolue à l’origine, encadrée par de très strictes exceptions suite aux négociations avant l’adoption du document. Une telle règle vient ainsi fortement compliquer la réalisation de projets ou d’activités sur ces zones, à juste titre donc.
Or, pour ces raisons, et en particulier pour les projets routiers, à l’heure actuelle, le préfet de la Loire-Atlantique hésite à approuver le document.
Et indignations
L’importance du rôle des zones humides ne cesse d’être mise en avant par les experts de l’eau. Entre autres services rendus, les zones humides stockent le carbone, alimentent le cycle de l’eau, permettent de lutter contre la gravité des sécheresses et des inondations, améliorent la qualité de l’eau, accueillent une biodiversité riche… Et pourtant, quand il s’agit réellement de les protéger, avec des incidences sur l’aménagement du territoire, c’est la levée de boucliers, quitte à mettre en sursis l’adoption du SAGE dans son intégralité ! « Il y a un décalage entre les paroles et les actes… » regrette Catherine BELIN, représentante de Bretagne Vivante à la CLE du SAGE Estuaire de la Loire, « Tout le monde prétend vouloir protéger l’environnement mais si cela remet en cause certains projets, le discours change. Il est grand temps de mettre la protection de l’eau dans les priorités absolues ».
Au-delà de la question environnementale, il s’agit également d’un problème démocratique. Le consensus a été trouvé au sein de la CLE, avec des années de travail en ateliers, l’établissement de cartographies des zones concernées et l’ajout de nombreuses exceptions aux règles protectrices pour satisfaire les intérêts en présence. Cela a abouti au vote du document à une très large majorité. Le blocage au niveau préfectoral, a priori alimenté par la pression de quelques acteurs économiques ou institutionnels, ne passe pas pour les défenseurs de l’environnement. « De telles pratiques n’entrent pas dans les règles démocratiques » constate Jean-Pierre LAFFONT, représentant de la LPO Loire-Atlantique à la CLE du SAGE Estuaire de la Loire, «l’information de nos concitoyens devient donc indispensable, car c’est bien à eux, finalement, de décider pour la gestion du bien commun qu’est l’eau».
1 AILE (représentant des industriels), Conseil Départemental 44, UNICEM et autres représentants des carriers (CHARIER, CIGO), CCI, COREPEM…
2 En pratique, l’efficacité des mesures compensatoires reste à prouver… Une étude du CNRS estime que 80 % d’entre elles n’atteignent pas le but recherché.
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Article publié le 27 novembre 2023