Il y a deux ans, le 26 octobre 2014, Rémi Fraisse, jeune botaniste de 21 ans, a été tué par une grenade offensive lancée par un gendarme lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens. Aujourd’hui, malgré les promesses de 2014 d’une démocratie plus participative, un tel drame est très loin d’être rendu impossible. Tribune de Denez L’Hostis, président de France Nature Environnement.
Ça devait arriver. La justice a tranché l’été dernier, donnant raison aux opposants et donc à Rémi Fraisse. Non, le projet de barrage de Sivens n’était pas « d’utilité publique ». Le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes va-t-il enfin connaître le même sort ? L’opposition entre partisans et opposants au projet d’aéroport n’a pas diminué d’un cran comme en témoigne la manifestation du 8 octobre qui a largement mobilisé. Les opposants n’ont naturellement pas renoncé à leur combat à l’issue de la consultation partiale organisée par le gouvernement. Si, comme il le laisse entendre, l’Etat tente d’évacuer les occupants au mois d’octobre il devra assumer le risque de voir se reproduire le drame de Sivens. Tous les ingrédients sont réunis.
Rappelons que le barrage de Sivens n’était pas plus d’utilité publique que le barrage, voisin, dit de « Fourogue ». Cet autre barrage illégal, sert essentiellement des intérêts privés, en étant financé avec l’argent du contribuable bien entendu. A la différence de celui de Sivens, le barrage de Fourogue a bel et bien été construit quand bien même avait-il été déclaré illégal. L’État a même été incapable de faire respecter le premier jugement qui exigeait la suspension des travaux. En effet, la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), la même qui a sévi à Sivens, s’asseyant joyeusement sur la décision de justice, a imposé son barrage.
Et quand le mal est fait, c’est très compliqué de restaurer des milieux naturels abîmés, de réparer ce qui a été détruit. Cela n’échappe d’ailleurs pas à certains qui, notamment en zone inondable, pratiquent allègrement la politique du fait accompli plantant des constructions illégales çà et là, en comptant sur la régularisation a posteriori, voire l’acceptation sans décision ; les collectivités n’ayant souvent pas les moyens d’intervenir, de faire détruire puis de remettre en état.
Pourtant les recours environnementaux sont rarement suspensifs et même dans le cas où ils le sont, comme pour le barrage de Fourogue, la suspension des travaux n’est pas toujours appliquée. Il est exceptionnel qu’un juge reconnaisse l’urgence quand il est saisi par une association environnementale agréée. D’ailleurs, c’est peut être une idée. Et si nos recours devenaient suspensifs ? Face à l’urgence environnementale avérée (effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles, pollutions…), cela peut être une des mesures à mettre en œuvre pour éviter le pire.
Sivens, Notre-Dame-des-Landes, Roybon… Nous comptons au moins cent cinquante projets nuisibles en France qui ont méprisé les avis négatifs issus des instances consultatives, de démocratie participative, qui ruinent non seulement la nature mais aussi la crédibilité de la consultation publique.
Notre-Dame-des-Landes me direz-vous. Oui, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, parlons-en. Une expertise nationale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a pointé le caractère surdimensionné du projet, comme à… Sivens mais pour l’aéroport on continue. La justice ne s’est pas encore prononcée sur tous les contentieux, nationaux et européens, et voici que notre Premier ministre, Manuel Valls, annonce, bravache, que « ça va se faire ». Malheureusement, une consultation, locale et au périmètre taillé sur mesure pour que le « oui » l’emporte, ne vaut pas loi ! Comme à Sivens, devrons-nous attendre que le projet ait détruit la nature pour feindre de découvrir que tout ça était illégal et nuisible ? Pire encore, le gouvernement attendra-t-il un second Rémi Fraisse pour s’orienter enfin vers des alternatives mieux adaptées ? Souvenons-nous que Thierry Gentilhomme, alors préfet du Tarn sur le départ, n’avait pas hésité à qualifier le barrage de Sivens « d’énorme gâchis » en évoquant « Un dossier trop vieux, pas actualisé que l’on a voulu passer à tout prix. ». La similitude entre les deux projets est incontestable…
Notre démocratie est malade. Malade de paternalisme condescendant, souvent. Malade de ces représentants qui considèrent qu’à partir du moment où ils sont élus ils détiennent la vérité révélée. Malade de ce personnel politique plus technocrate que visionnaire, plus influencé par les techniciens et les lobbies que par le véritable intérêt général. Une démocratie malade d’être sourde aux cris de ses citoyens. Malade de ne plus savoir écouter les arguments étayés. La crise de la représentativité qui fait le jeu des extrémistes devrait faire réagir. Il est plus que temps que notre démocratie représentative aille faire sa cure de jouvence en se frottant à la démocratie participative, en s’y ressourçant.
Nous voulons participer aux processus de décision sur le devenir de nos territoires, celles du vivre ensemble. Nous voulons avoir voix au chapitre pour déterminer l’intérêt public réel, au-delà de la simple somme des intérêts économiques. Sortons de l’État dirigiste pour entrer dans l’ère de l’État bienveillant, garant de l’intérêt public véritable. Un Etat protecteur des personnes et des biens et donc aussi des biens communs comme la qualité de l’eau, de l’air, des sols et respectueux des spécificités de nos territoires, fût-ce aux dépens des lobbies ou de ceux qui sont trop pressés de s’enrichir à n’importe quel prix.
A Notre-Dame-des-Landes, comme ailleurs, nous pouvons, et nous souhaitons, nous asseoir autour de la table, concilier les besoins réels, faire ensemble des choix concernant les coûts et les bénéfices sans opposer les populations les unes aux autres, sans faire de la nature et du projet des habitants des variables d’ajustement. Construisons l’avenir ensemble, entrons enfin dans l’ère du « faire ensemble » en s’appuyant sur une démocratie participative réelle, seule garante d’un débat serein et de projets acceptables. La société est prête mais encore faudrait-il que les dirigeants politiques acceptent de partager le pouvoir de décision. Nous ne voulons pas mourir pour des idées mais au contraire vivre pour elles.
Denez L’Hostis, président de France Nature Environnement